Avril2017 auteur : danielvidal9@hotmail.com

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Les troubles cognitifs, qui amènent souvent les personnes cérébrolésées à travestir la réalité quand elles
essayent de mettre de l’ordre dans leurs souvenirs, peuvent-ils être qualifiés de confabulations ?


Les personnes cérébrolésées en fonction de l’importance de leurs déficiences cognitives décrivent parfois de manière tronquée ou peu conforme à la réalité ce qu’elles ont vécu. Elles relatent plus ou moins rarement spontanément les évènements et le fond le plus souvent quand cela leur est demandé ou suggéré. Il ne s’agira le plus souvent que d’évènements récents, car l’anosognosie est un obstacle à la restitution du vécu d’autant que la personne cérébrolésée sera fréquemment dans des conditions émotionnelles qui activent des positions de replis défensifs. J’ajouterai que lorsqu’une personne cérébrolésée relate un évènement spontanément c’est qu’il a une forte prégnance émotionnelle qui la conduise plus ou moins à produire un récit en boucle.

Afin d’illustrer mon propos, je vais vous raconter l’histoire d’un voyage en train raconté dans des vidéos par un homme de 61 ans retraité qui a été victime d’un accident de la voie publique occasionnant un grave traumatisme crânien.

Les séquences vidéos se déroulent 3 ans après l’accident qui a entraîné des déficiences cognitives et des troubles du comportement et en particulier une agnosie visuelle importante et une prosopagnosie.

L’homme de la vidéo que je nommerai Bertrand pour garder son anonymat voulait absolument se rendre seul en train dans les Alpes ou il a des amis depuis très longtemps. Il était persuadé de pouvoir s’y rendre seul et avait déjà fait plusieurs tentatives qui avaient échoué. Nous avions avec sa fille et son épouse réussi à le récupérer lors de ses tentatives infructueuses et nous avons alors décidé de faire un nouvel essai en le guidant à distance en effectuant parallèlement le voyage en voiture pour pouvoir le récupérer en cas d’échec. Il avait avec lui son téléphone portable qui devait nous permettre de communiquer dans les moments délicats.

Son entêtement à vouloir aller seul dans les Alpes depuis Alès nous amènerons avec sa fille à tenter ce voyage pour qu’il puisse se rendre compte des difficultés qu’il aurait à surmonter pour se rendre en train d’Alès à Nîmes avec une correspondance pour Valence ville puis une autre correspondance pour Veynes dans les hautes Alpes en descendant chaque fois à la bonne gare, car s’agissant de TER, les arrêts sont fréquents, et pour finir, prendre la navette de car à Veynes qui le conduirait à Giers dans le Dévoluy. Le voyage a eu lieu en aout 2009 et les vidéos ont été filmées en novembre 2009 soit plus de 2 mois après.

La première étape du trajet en train se déroule d’Alès à Nîmes ou il doit prendre un TER pour Valence ville.

Sur la première vidéo, il lui est suggéré de raconter son voyage qu’il est persuadé d’avoir fait seul et il commence par dire que quelqu’un l’a reconnu, mais en fait c’était plus tard à l’arrivée à Veynes dans les Alpes. C’est la première confusion et il faut le ramener sur le sujet pour qu’il se remémore le début du voyage.
Dans la réalité, c’est accompagné par sa mère qu’il s’est rendu à la gare d’Alès pour acheter son billet et prendre le bon train. Sa mère l’a accompagné jusque dans le wagon pour demander à des personnes présentes de l’aider éventuellement.

Sa valise avait été préparée par son épouse, car en raison de l’agnosie visuelle, il ne distingue que peu ou pas les vêtements et encore moins les accessoires de toilettes.
Sur la deuxième vidéo
, il élude le sujet sur le retard du train en disant qu’il n’en avait pas beaucoup alors qu’il était très important au point de rater la correspondance.
Il s’affirme comme ayant fait seul le voyage, mais n’avance dans la transcription des souvenirs que sur suggestion ou sollicitation, mais il ne conteste pas quand on lui rappelle l’aide apportée.

Les explications que donne Bertrand sur l’achat du billet de train sont plus ou moins cohérentes, mais non conformes à ce qu’il est en capacité de faire en raison de l’agnosie visuelle, quand à celle du voyage en train, elles ne correspondent pas à la réalité d’un déplacement à forte prégnance émotionnelle qui s’est déroulé.

Nous avons été prévenus du départ et nous nous sommes rendus en voiture avec sa fille à la gare de Nîmes pour l’aider éventuellement à prendre la correspondance pour Valence.

La deuxième étape du voyage était prévue en TER de Nîmes à Valence, mais en raison d’un grand retard, la SNCF lui a fait prendre un TGV ce qui a compliqué le voyage puisqu’il a fallu ensuite qu’il se rendre en car de Valence TGV à Valence ville.

Bertrand admet maintenant sur la troisième vidéo que le train avait du retard.
Il ne se souvient pas que le train avait un tel retard et qu’il n’était plus possible de prendre la correspondance du TER pour Valence ville et qu’il a donc fallu prendre un TGV pour Valence TGV.
Il ne percute pas quand je lui parle de correspondance et ne s’étale pas sur le sujet.
Il ne prend pas en compte que sa fille était à Nîmes ce jour-là et élude le sujet.

Sur la quatrième vidéo
, il commente les difficultés à se mémoriser les évènements avec cohérence.
Pendant qu’il effectuait son trajet en train depuis Alès, nous avons eu le temps d’arriver à la gare de Nîmes et je me suis rendu sur le quai pour l’accueillir.

Il n’a aucun souvenir que je me suis présenté à lui pour l’aider comme une personne lambda serviable et il ne m’a pas reconnu en raison de sa prosopagnosie.
Je l’ai guidé pendant le transfert à Nîmes et ai demandé à des passagers de l’aider pour l’arrêt à Valence TGV. Nous sommes repartis en voiture avec sa fille pour Valence en gardant avec lui un contact téléphonique.

Il a donc pris un TGV pour se rendre à la gare de Valence TGV alors qu’initialement il devait se rendre à la gare de Valence ville, mais l’important retard du train d’Alès a modifié nos plans. Je l’ai accompagné au guichet, car il fallait faire modifier son billet pour prendre le TGV.

La troisième partie du voyage qui n’était pas prévue s’est effectuée en car de Valence TGV à Valence ville.

La quatrième partie du voyage s’est effectué en TER de Valence ville à Veynes dans les hautes Alpes.

Bertrand sur la cinquième vidéo n’est pas capable d’indiquer qu’il a pris un TGV pour se rendre à Valence.
Il dit qu’il pose beaucoup de questions, qu’il demande, ce qui n’a pas été le cas lors de ce voyage.
Le paradoxe c’est qu’il donne des explications sur la manière de prendre le train, mais confrontées à la réalité, il ne retrouve plus ses moyens. J’ajouterai que l’agnosie visuelle y est pour beaucoup.

Il argumente en bottant en touche en disant qu’il y a une correspondance parce que je lui ai suggéré.
Sur la sixième vidéo
, il saute du coq à l’âne en évoquant quelqu’un qui l’a reconnu, mais c’était en fait à l’arrivée en gare de Veynes.
Il évoque un trajet en cars qui est celui de la gare de Valence TGV à Valence ville, mais il ne se rappelle pas que nous l’avons avec sa fille guidé par téléphone.
Nous l’avons eu en visuel à la gare de Valence ville et nous l’avons de nouveau guidé par téléphone jusqu’au train pour Veynes.
Je me suis présenté à lui dans le train, mais il ne m’a pas reconnu et j’ai demandé à ses voisins de place de veiller à ce qu’il descende en gare de Veynes.

Vous remarquerez sur les vidéos que le récit n’est alimenté par Bertrand que parce que je lui fais des suggestions.

Nous l’avons récupéré à la gare de Veynes et nous nous sommes présenté à lui ce qui ne l’a pas étonné. C’est à ce moment que des personnes qui le connaissait avant son accident quand il venait dans le Dévoluy, l’ont vu, mais Bertrand ne les a pas  reconnu et il a fait comme à son habitude quand des personnes l’interpelle, il se comporte en laissant penser que lui aussi les reconnait.

La cinquième partie du voyage se déroule à Veynes pendant une étape pour le repas de midi.

Sur la septième vidéo, Bertrand mélange encore les évènements, car en fait l’appel de sa fille s’est produit quand il est parti pour s’acheter un sandwich après son arrivée à Veynes.

Je l’ai suivi pour voir ou il se rendait et comme il est passé devant deux boulangeries sans s’arrêter, sans doute parce qu’il ne les identifiait pas, j’ai téléphoné à sa fille pour qu’elle l’appelle et lui demande de faire demi-tour.

Il dit sur la vidéo que les magasins étaient fermés, ce qui était inexact.
Il a donc fait demi-tour à la demande de sa fille et je l’ai interpelé pour lui demander ce qu’il cherchait et il ne m’a de nouveau pas reconnu.

Je l’ai conduit jusqu’à une boulangerie ou je l’ai aidé à choisir, car il n’était pas capable d’identifier les aliments présentés.
Nous avons compris par la suite qu’il voulait se rendre à un magasin Super U qui se trouve à l’autre bout de la ville et dont il avait le souvenir, mais il aurait été en difficulté dans ce magasin pour choisir quelque chose en raison de son agnosie visuelle.

Le constat de sa capacité de mémorisation est toujours assez paradoxal, car il est capable de se souvenir de beaucoup de choses ayant trait à son voyage quand il est aidé à partir de suggestions.

La sixième et dernière partie du voyage s’est effectué avec sa fille et moi en voiture de Veynes à Giers en Dévoluy.

Sur la huitième vidéo, Bertrand dit que ce sont des gens qui l’ont reconnu qui l’ont emmené à Giers dans le Dévoluy, mais en fait il fait des amalgames et il s’agit de Cristel et moi qui l’avons conduit en voiture de la gare de Veynes à Giers en Dévoluy.

Il ne se trompe pas quand il énonce qu’il y a une bonne vingtaine de kilomètres de Veynes à Giers en Dévoluy.

Il a conservé le souvenir assez global de l’environnement qu’il redécouvre à Veynes, mais il est incapable de le comprendre dans le détail

Sur la neuvième vidéo, il envisage de monter à pied avec sa valise pour faire la route de Veynes à Giers en Dévoluy sans prendre en compte qu’il y a deux cols à franchir et que le bord de la route n’est pas propice à un déplacement à pied avec une valise à roulettes.

Pour Bertrand, il n’y a que l’objectif qui compte et il pense qu’il pourra résoudre tous les problèmes qui pourront se poser et il est évident qu’en raisonnant comme cela, il n’a pas conscience des difficultés qu’il pourrait rencontrer du fait de l’agnosie visuelle et de son manque de discernement.

Après cette expérience qui a dû être stressante pour Bertrand, il ne parla plus jamais de se rendre dans les Alpes en train, mais il évoque fréquemment le jour où il pourra reconduire une voiture pour pouvoir s’y rendre seul.

Comme il aime rencontrer ses amis de Giers dans le Dévoluy et que ses amis ont du plaisir à le revoir, sa fille l’emmène en voiture plusieurs fois par an pour que Bertrand puisse revoir ses amis dont il ne reconnait toujours pas les visages en raison de sa prosopagnosie, mais qu’il identifie à sa manière de même que l’environnement qu’il ressent comme familier en dépit de l’agnosie visuelle.


Vous constaterez dans les vidéos que ses propos sont toujours bien construits, exprimé avec assurance et certitude en étant le reflet d’une réalité telle qu’il voudrait qu’elle soit.

Il y a plusieurs aspects dans sa manière de commenter le voyage en train à partir de suggestions, on peut constater dans les vidéos qu’il relate correctement son vécu à partir d’indice suggéré, mais il est aussi parfois assez confus et il mélange des situations en s’appuyant sur des réalités, il éprouve des difficultés de mémorisation qu’il reconnait et qu’il accepte,  il développe des raisonnements en apparence cohérent mais qui répondent à une logique subjective propre, il transforme en outre des évènements à son avantage d’une façon qui s’apparente à de la confabulation.

Pour conclure je pense que l’emploi de la terminologie confabulation doit être relativisé et ne pas être employé trop systématiquement comme un résumé global des comportements que l’on attribue aux conséquences du syndrome frontal.


 


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